L’étamine du Mans

Par Serge HEUZARD (Texte paru dans le journal d’août 2017 du comice de Saint Mars de Locquenay)

Un siècle et demi de production lainière (1650 /1815)

Les prémices de l’industrialisation

Toute la province du Maine est concernée par l’élevage des moutons nécessaires à la production de la laine utilisée pour les étamines : des rives du Loir à l’est et au sud, des berges de la Mayenne à l’ouest et de Mamers à Bellême au nord.

L’Étamine du Mans a été la principale production de la province avant que les toiles de lin mais surtout de chanvre ne la remplacent au 19ème siècle.


Définition de l’étamine selon l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert  (2ème moitié du 18ème) :

"«L’Étamine» ou «étoffe de deux étaims» est une étoffe faite de fil «d’étaim» ou «laine huilée/peignée» en trame comme en chaîne. Une telle étoffe fine d’étaim sur étaim à deux marches et serrée, sera l’Étamine du Mans."

C’était une étoffe de laine fine et légère, de grande qualité, très recherchée.

Pour sa fabrication, dans tout le bas Maine, on utilise la production locale. L’élevage de moutons s’est répandu. On élevait sur les friches, très étendues à cette époque, une race lainière de bonne qualité, venue du Poitou. Il n’existait pas de grands troupeaux plutôt des petites unités de 10 à 30 têtes.

Après tri la meilleure partie de la laine servait à la fabrication des « étamines », la plus grossière était utilisée pour faire des «serges» ou des «droguets» pour le «menu peuple».


7 étapes sont nécessaires pour aboutir à l’Étamine du Mans :

1-Préparation de la laine

Tonte et dégraissage étaient pratiqués par l’éleveur lui-même avec de grands ciseaux appelés «forces». Rincées et foulées au bord des rivières, les toisons étaient mises à sécher sur l’herbe.

Après avoir été battues pour finir le nettoyage, la laine arrivait à la «boutique», l’atelier du maître à façon qui travaillait souvent avec femme et enfants.

2-Peignage

La laine était d’abord peignée avec du matériel très simple. On la graissait à l’huile d’olive pour la rendre souple et coulante.

La laine ainsi préparée était prête à l’emploi. C’est là qu’elle prenait le nom «d’étaim en poil».

3-Filage

On confiait la laine aux fileuses à domicile, toujours des femmes de tous âges qui travaillaient de nombreuses heures sur des petits rouets mus à la main. Le grand rouet était surtout utilisé pour le lin et le chanvre.

Lorsque les pelotes ou bobines étaient prêtes, les fileuses étaient payées à la quantité selon le poids de laine.

4-Ourdissage

L’ourdissage consistait à la préparation de la chaîne, il fallait positionner les fils dans la longueur du futur tissu.

L’opération était longue, très technique, car elle déterminait la structure finale, selon la qualité du tissu souhaité : étamine simple, étamine double, étamine à voile (religieuses), jusqu’à 40 portées de 40 fils, donc 1600 fils sur de grandes longueurs.

5-Tissage

Lorsque la chaîne était prête, elle était montée sur le métier à tisser. La «trame» (fils perpendiculaires à la chaîne) était mise en place.

Des «pièces» de tissu de plusieurs mètres de longueur étaient produites, pour lesquelles il fallait plusieurs semaines ou mois en fonction de la finesse recherchée, pour un maître sergé.

6-Teinture

Quand les pièces étaient achevées, elles étaient vendues aux négociants en étamines : essentiellement des fabriques du Mans ou de Nogent-le-Rotrou qui avaient des entrepôts régionaux ; c'est le début de l’industrie.

Le tissu était passé au «moulin à foulon» pour être dégraissé, trempé puis martelé pour finir le nettoyage.

Débarrassée de son huile et des poussières, il pouvait être teinté, presque toujours en noir pour cette étoffe.

7-Apprêts

Dernière étape : l’épincetage et le lissage avec des chardons naturels spécialement cultivés pour cet usage.

Enfin, après pliage et mise en balle soigneuse, les étamines du Mans partaient en charrettes pour leurs, souvent lointaines, destinations : toute la France, l’Europe et même plus loin jusqu’aux «Amériques»…

Saint Mars de Locquenay, comme tous les villages de l’ex-canton de Bouloire, était surtout concerné par l’élevage des moutons, la production de laine et le filage. Sans doute quelques métiers à tisser y fonctionnaient-ils.

La production d’étamine du Mans était surtout concentrée dans les gros bourgs et les villes.

Les tisserands de toile de lin et de chanvre du 19ème siècle utilisaient des fils secs, ce qui les obligeaient à travailler dans des lieux constamment humides, les caves.

On en voit encore les traces sur certaines maisons basses des bourgs, avec une porte à demi-enterrée.

Les «maîtres sergés», tisserands de laine utilisaient «l’étaim», une laine huilée au peignage, empesée puis séchée au stade de l’ourdissage (préparation de la chaîne), insensible au dessèchement. Ils œuvraient donc au rez de chaussée, dans la pièce la plus grande de la maison.

Sur ce plan, travailler la laine devait être «un peu moins pénible» à vivre.

Voir également ce site :

https://www.etoffe.com/blog/2021/05/letamine-de-laine-de-la-lumiere-a-lombre/

et ce document :

https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1954_num_4_3_4280